L’IDÉOLOGIE TRANSHUMANISTE

L’IDÉOLOGIE TRANSHUMANISTE

Émergence historique

Le « progrès » est l’action d’avancer, le mouvement en avant, terme comprenant implicitement les notions de complexité et d’inachèvement, tout simplement parce que le temps nous échappe.

Il y a deux types de progrès, d’une part, le progrès d’ordre quantitatif, techno- scientifique que nous devons développer dans la mesure où il demeure au service de l’Humain; et d’autre part, le progrès d’ordre qualitatif, moral, celui de la croissance intérieure, pour lequel l’initiation s’effectue par la pratique des vertus.

Le progrès technique est à distinguer du progressisme. Ce dernier est une idéologie, c’est-à-dire ce triple pouvoir d’une idée sur les réalités spirituelle, matérielle et sociale.

Le progressisme est « le progrès techno-scientifique pour le progrès techno- scientifique ». Déjà vivement prôné au XIXième siècle par Auguste Comte et le positivisme, c’est au XXième siècle que le progressisme investit tous les domaines de l’activité humaine: technique, scientifique, industrielle, politique, juridique, éducative, culturelle, …. Il y eut un théâtre progressiste, un cinéma progressiste, … et même l’Église s’est mise en tête, sinon d’être progressiste, du moins de s’adapter au progressisme, devenu la loi du temps présent.

Il est incontestable qu’à l’époque moderne, le développement soutenu des techniques et des sciences a donné lieu à de réelles et très importantes améliorations pour l’individu, dans la société; autrement dit au service de l’Humain. Hélas sans extension morale parallèle, cet essor techno-scientifique a surtout donné lieu à une vive prise de conscience générale du pouvoir de l’homme sur la nature. Beaucoup ont alors considéré ce pouvoir comme source d’un progressisme capable de résoudre tous les problèmes de l’humanité.

Actuellement, cette fascination s’atténue. Alors que, jadis, il était permis de « douter de tout, sauf du progrès » et qu’il était courant de ponctuer « on n’arrête pas le progrès », il est surprenant de constater qu’il est de bon ton, aujourd’hui, de rejeter cette notion du « progrès pour le progrès ». A présent, le progrès s’énonce toujours insensiblement associé à l’idée de « risque » : la fission nucléaire à l’amoncellement des déchets radioactifs, l’agriculture industrielle à l’anéantissement de la biodiversité, le chimique à la pollution surtout alimentaire et environnementale, les expansions informatiques aux falsifications, la thérapie génique aux manipulations génétiques, …

L’espoir a existé que la conscience collective réalise le montant à payer (destruction de paysages naturels et/ou urbains, de cultures indigènes, de la stabilité climatique, essais thérapeutiques délétères, accidents, guerres,…), ainsi que le nombre de crimes commis en son nom (idéologies fasciste et marxiste). Mais, hélas, le progressisme resurgit aujourd’hui, sous la forme de l’idéologie transhumaniste, qui peut compter sur la révolution libertaire de mai 1968 qui promeut une société utopique, sur le lobby LGBT qui considère le corps sexué comme une contrainte dont la science doit nous libérer; ainsi que sur les mouvements animalistes et écologistes radicaux, qui brouillent la frontière entre l’humain et l’animal; concourant tous au même but: la haine de la nature humaine, ainsi que la destruction de la loi naturelle.

Définition, caractéristiques et terminologie

Le transhumanisme est à la fois un mouvement philosophique et une mouvance culturelle, de rayonnement international, qui affirment qu’il est possible et souhaitable d’augmenter, d’accroître, de transformer, de dépasser, uniquement par la science et les techniques, les capacités humaines actuelles: physiques, intellectuelles: cognitives et émotionnelles, ainsi que psychiques, considérées comme un stade transitoire et très rudimentaire d’un processus évolutif.

Le transhumanisme est un puissant anti-humanisme dans lequel confluent plusieurs courants idéologiques: progressisme, évolutionnisme, scientisme, technicisme, eugénisme, individualisme, utilitarisme, relativisme, consumérisme.

Le transhumanisme est essentiellement une manière de penser à propos du futur, basée sur le postulat que l’espèce humaine, dans sa forme actuelle, ne représente qu’une phase très primitive de son développement.

Alors que le terme « homme augmenté » insiste sur le résultat, l’augmentation prend la forme de l’ « hybridation » qui porte sur le moyen. Le terme « transhumanisme » pose la question de la fracture anthropologique.

L’utopie transhumaniste réside dans la transformation de notre conception de la vie et de la condition humaine. Elle essaie de nous convaincre de l’anormalité de notre condition actuelle qu’il convient dès lors d’ « augmenter ». Elle consiste réellement à promouvoir notre conversion idéologique.

Au coeur du récit transhumaniste, il y a le refus de toute idée de transcendance.
La grande majorité des transhumanistes se présente comme agnostiques ou athées, laïques et libres-penseurs.

La double techno-prophétie de l’idéologie transhumaniste est d’une part, de faire advenir une nouvelle espèce , « l’espèce transhumaniste », par la fusion humain-machine/ cyborg et le transfert de personnalité dans des robots via l’intelligence artificielle et d’autre part, devenir « a-mortel », c’est-à-dire allonger indéfiniment la vie, sans en faire disparaître le terme; la dignité consistant à éviter la souffrance, la vieillesse, l’humiliation et la pauvreté.

S’il est vrai que nombre des adeptes du transhumanisme sont des chercheurs, des inventeurs et des entrepreneurs, celui-ci ne se positionne que sur le plan de l’influence des idées et non sur celui du développement techno-scientifique. Le projet transhumaniste est dopé par la progression exponentielle actuelle de la connaissance dans les quatre domaines N.B.I.C. : les nanotechnologies, les biotechnologies, l’informatique et les sciences cognitives.

Ses défenseurs se réfèrent à des technologies déjà existantes ou mettent leurs espoirs dans des programmes de recherches scientifiques portés en Europe, par les Universités; en Chine, par des investissements publics d’envergure; ainsi qu’aux Etats-Unis par la N.A.S.A. – recherche spatiale et la D.A.R.P.A. – recherche militaire, financés de millards de dollars, par les G.A.F.A.M.A.: Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft.

L’idéologie transhumaniste présente les caractéristiques suivantes :

Elle dénonce le spécisme de l’Humain. Elle relativise la valeur accordée à l’être humain, en tant que membre d’une espèce biologique. Ce qui distingue l’humain des autres vivants n’est pas une différence absolue, mais une question de degrés de complexité et de propriétés. La forme biologique propre à l’espèce humaine n’est pas immuable, n’a pas le monopole du respect et de la dignité, et ne doit certainement pas être sacralisée.

Les transhumanistes affirment que tous les êtres doués de sensibilité, pré-humains, non-humains (animaux) ou post-humains ont droit à un statut moral respectueux de leur bien-être et épanouissement, d’où l’engouement actuel pour le véganisme.

Le transhumanisme affirme la notion de personne au sens juridique du terme, c’est- à-dire définie par la présence de certains attributs, et dénonce les jugements de valeurs et les discriminations liées aux différences de sexe et de genre. Une des principales critiques adressées à l’humanisme moderne par le transhumanisme est qu’il a privilégié la figure de l’homme blanc mâle occidental.

Le transhumanisme proclame l’autonomie de la personne dans le sens du droit de la personne de se gouverner par ses propres lois: autonomie parentale des choix procréatifs, ainsi que de modifier son corps, car la personne ne s’identifie certainement pas à une morphologie particulière et contingente. « Je me modifie, donc je suis » disent les « body-hackers », les pirates du corps, branche active du transhumanisme. L’enfant étant devenu un produit dont on passe commande, pourquoi pas alors l’ « augmenter », lui ajouter des fonctions supplémentaires, le « fabriquer » selon nos fantasmes?

Le transhumanisme est un matérialisme dur qui évolue avec les techno-sciences, leurs instruments et leurs concepts opératoires. S’il n’y a ni nature, ni transcendance, mais seulement un monde dû au hasard, alors il n’y a ni bien, ni mal et le seul but de l’existence devient l’efficacité matérielle.

Le transhumanisme est sans limites. Il est l’idée utopiste que la technologie donne à l’humain les moyens de s’affranchir de la plupart des limitations qui lui ont été imposées par l’évolution, la mort étant la première d’entre elles.

Il voit le progrès comme une transformation de la nature humaine, sans délimitation, alors que les humanismes traditionnels voient le progrès, d’abord ou exclusivement, en termes de transformations sociales, institutionnelles, d’organisation symbolique comme l’éducation, la morale, le droit, la politique, la culture; sans modifications biophysiques des humains, de la nature humaine en ses limites.

La référence spéculative et narrative du transhumanisme est l’évolution.
Le futur de l’humain ne dépend plus de son passé, puisqu’il est possible d’intervenir volontairement pour orienter l’évolution, notamment par les manipulations génétiques.

Le corps étant une anomalie génétique, un vestige d’une humanité dépassée, le transhumanisme conçoit l’humain comme un chantier technologique, alors que la référence spéculative et narrative des humanismes, religieux ou non, est l’histoire. L’histoire désigne ici la transformation des organismes et des relations entre les humains, ainsi que les modifications du milieu, mais sans affecter la nature biophysique de l’humain.

L’idéologie transhumaniste entraine une fracture anthropologique, la vision de l’humain n’est plus la même qu’auparavant; une mutation culturelle de l’être humain, dont la vie a perdu toute orientation et tout pourquoi, paralysé par l’impossibilité de récupérer la plénitude de l’Humain; et pour conséquence politique, la gestion des affaires privées, la cité ressemblant à la maisonnée, la santé des foules devenue programme politique.

Transhumanisme et posthumanisme, est-ce la même idéologie? Non, mais ils coexistent. Le posthumanisme prophétise l’avènement d’entités artificielles, non- humaines, sur-humaines, susceptibles de succéder à l’espèce « homo-sapiens » et de poursuivre de façon autonome, leur propre évolution.

L’idée du posthumain s’est développé dans le sillage de la cybernétique, de l’informatique, de la robotique et de l’intelligence artificielle.

L’usage du terme « posthumain » comme quasi synonyme de celui de transhumain accentue l’éventualité que l’augmentation continue de l’homme finisse par transformer celui-ci, à un point tel qu’il ne serait plus du tout identifiable comme humain.

Avec Bertrand Vergely, concluons en proclamant qu’il s’agit ici d’une logique de l’homme-Dieu, sans limite. Mais que cette logique a quelque chose de tellement suicidaire qu’il va bien falloir en sortir. Et pour cela, il faudra une révolution intérieure, passant de l’homme-Dieu au Dieu fait homme.

Prof.Dr. Bernard Ars. www.arsbernard.com

Références :

Caseau Yves, « L’homme augmenté conduit-il au transhumanisme? », Académie Catholique de France, Parole et Silence, 2016, pp.168, ISBN: 978-8-88918-907-6.

Flour Yvonne et Boyer Pierre-Louis, « Transhumanisme: questions éthiques et enjeux juridiques », Académie Catholique de France, Parole et Silence, 2020, pp.427, ISBN: 978-2-88959-183-1.

Hottois Gilbert, « Le transhumanisme est-il un humanisme ? », Académie Royale de Belgique, L’Académie en poche, 2014, pp.85, ISBN: 978-2-8031-0432-1.

Redeker Robert, « Le Progrès ? Point final. », Leseditionsovadia, 2015, pp.213, ISBN: 978-2-36392-132-1.

Terence Mathieu, « Le transhumanisme est un intégrisme », cerf, 2016, pp.100, ISBN: 978-2-204-11494-3.

Vergely Bertrand, « La tentation de l’Homme-Dieu », Le passeur, 2015, pp.140, ISBN: 978-2- 36890-362-9.

Note de Synthèse 03/2020 © Pétrusse ASBL

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *